Manifester… à quoi ça sert?

Vous est-il déjà arrivé.es de vous sentir amèrement découragé.es, au lendemain d’une manifestation électrisante, devant l’indifférence la plus totale de nos élu.es? Comment peuvent-ils ignorer plusieurs centaines de militantes et militants qui prennent d’assaut la rue pour dénoncer les injustices insoutenables qu’ils vivent? Que reste-t-il lorsque l’écho des cris cesse de retentir dans les médias pour laisser place au silence violent du politique? Il est légitime de se demander : « À quoi ça sert, finalement, de manifester, si « rien ne change »? »

« So-so-so, solidarité! »

On ne vous apprendra rien ici, mais il faut quand même se le rappeler : les luttes pour la justice sociale sont souvent très longues et parsemées d’obstacles. Elles peuvent durer plusieurs années, voire des décennies. En effet, les inégalités sociales, économiques et politiques résultent souvent de systèmes d’oppression (patriarcat, sexisme, racisme, etc.) intégrés dans les institutions, les lois et les mentalités, et les démanteler nécessite temps, conviction et, surtout, une grande solidarité. Or, manifester est un moyen extrêmement puissant de nourrir cette solidarité, puisqu’elle permet à l’indignation de passer du « je » au « nous ». Et c’est précisément l’ingrédient qui enrichit le terreau sur lequel peuvent fleurir les actions de défense collective de nos droits.

Le changement social par, pour et avec les personnes concernées

Manifester représente, pour les personnes vulnérabilisées et marginalisées, un acte important de reprise de pouvoir. Ces dernières peuvent enfin prendre part au discours public duquel elles sont trop souvent exclues, parler en leur propre nom des problématiques qu’elles vivent, dénoncer leurs droits bafoués et mettre de l’avant les solutions qu’elles ont elles-mêmes identifiées et qui sont adaptées à leurs réalités. Il s’agit là du fondement même de l’éducation populaire. Cette démarche d’émancipation à la base des pratiques du milieu communautaire aide les personnes à comprendre et à renverser les causes profondes des injustices qu’elles vivent et qui sont intégrées dans des systèmes d’oppression imposés par les classes dominantes[i].

Ainsi, en plus d’insuffler de l’espoir, participer à une action collective fournit des outils pour agir sur ses conditions de vie et défendre ses droits.

La responsabilité de l’État face aux enjeux systémiques

De surcroît, occuper l’espace public pour critiquer des discours, des politiques et des lois permet de nuancer les débats et de visibiliser des problématiques sociales vécues et auxquelles des solutions structurantes sont nécessaires. D’ailleurs, nos gouvernements jettent trop souvent le blâme sur les individus pour justifier des enjeux systémiques dont ils sont entièrement responsables. Les différentes crises ne sont pas une fatalité; elles résultent de choix politiques.

Ton loyer te coûte trop cher? « Déménage![ii] » La banque alimentaire de ton quartier ne répond plus à la demande grandissante? « C’est la faute des immigrants[iii]. » La démagogie et le populisme sur le dos des vulnérables, c’est « NON ». On veut des solutions structurantes et inclusives, notamment un filet social tissé serré qui inclut des programmes sociaux, des services publics et des organismes communautaires autonomes financés à la hauteur des besoins.

Il existe une multitude de moyens et de stratégies pour sensibiliser la population, amorcer ou poursuivre une conversation sociale et construire un rapport de force avec les décideurs publics. Par exemple, signer une pétition, publier une lettre ouverte, se présenter à une assemblée publique, s’affirmer dans une conversation à caractère sensible et, bien sûr, participer à une manifestation. Ce ne sont ni les causes ni les moyens qui manquent, et c’est la multitude des actions portées par un plus grand nombre qui, au fil du temps, permet d’obtenir des gains… ou de limiter des reculs.

En résumé, les répercussions des mobilisations semblent parfois vaines, mais elles sont bel et bien réelles. Il importe de les percevoir dans un continuum dont les avancées, et parfois les ressacs, varient en fonction de plusieurs éléments, dont la conjoncture et la capacité des mouvements populaires à se mobiliser. Rappelons-nous que manifester est un droit précieux qui constitue un pilier des sociétés démocratiques et qu’il est essentiel de s’en prévaloir au risque de le voir disparaître. Nous bénéficions des luttes gagnées hier et celles menées aujourd’hui profiteront à la génération qui suit. « Ne nous décourageons pas », comme dirait l’infatigable militante Lorraine Guay[iv].

Manif-action pour la justice sociale le 20 février

Alors, on se retrouve dans la rue le 20 février prochain dans le cadre de la Journée mondiale de la justice sociale? (DÉTAILS ICI)

Quelques références


[i] Paulo Freire, La pédagogie des opprimé.es, Édition de la rue Dorion, 2021

[ii] Propos tenus par France-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation devant la hausse suggérée des loyers par le Tribunal administratif du logement, janvier 2025.

[iii] Réaction de Chantal Rouleau, ministre de l’Action communautaire, à la conférence de presse tenue par des organismes montréalais qui œuvrent en sécurité alimentaire le 28 novembre 2024 (source).

[iv] Lorraine Guay, Qui sommes-nous pour être découragées, Écosociété, 2019