Agir sur les conditions de travail dans le communautaire 

Dès que nous entendons parler de conditions de travail dans le milieu communautaire plusieurs mots (maux!) nous viennent automatiquement en tête : précarité, surcharge de travail, épuisement, incertitude, insécurité d’emploi et j’en passe. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les conditions de travail du communautaire sont décriées et font l’objet d’analyses et de recherches. Déjà en 2005, une enquête sur les avantages sociaux dans les organismes communautaires au titre évocateur « Pour que travailler dans le communautaire ne rime plus avec misère »[1] venait mettre le doigt sur les mauvaises conditions de ce secteur d’emploi. « Reconnus pour offrir des espaces de travail conviviaux, fondés sur une gestion démocratique, les groupes communautaires restent cependant marqués par des conditions de travail précaires : salaires moins élevés que dans les autres secteurs d’emploi, avantages sociaux quasi inexistants, possibilités de formation et de perfectionnement professionnel limitée ».

Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Vingt ans plus tard, force est de constater qu’hélas peu de choses ont changé! Bien sûr certains groupes, certains secteurs ont vu leur financement augmenter au cours des années et bien sûr, durant la pandémie. Lorsque tout à coup nous sommes devenus des « services essentiels », les gouvernements ont injecté des fonds ponctuels « orientés sur l’offre de services et déterminés en fonction des priorités des gouvernements (et/ou fondations) »[2]. Des fonds qui, cinq années plus tard, n’ont pas ou peu permis la bonification des conditions de travail au sein des organismes. Pourtant les solutions sont connues et maintes fois répétées aux décideurs publics et aux fondations : financement mission, financement mission, financement mission. Seul ce type de financement permet une réelle bonification des conditions de travail, une stabilité pour les équipes en place, une continuité des activités et une pleine participation des personnes qui les fréquentent. 

Mais une fois cela dit, et qu’encore une fois les sommes allouées dans le dernier budget du Québec demeurent considérablement insuffisantes pour les organismes, comment faire pour bonifier les conditions de travail et assurer une pérennité au sein des équipes en place?

Bien sûr, en continuant encore et encore de revendiquer un financement à la mission suffisant, c’est une priorité! Mais également en répétant aux décideurs politiques, aux bailleurs de fonds publics et philanthropiques que nous ne sommes pas un sous-secteur d’emploi. Qu’il faudrait arrêter de nous voir comme des travailleuses et travailleurs de seconde zone. Les équipes sur le terrain sont composées de personnes qualifiées, même surqualifiées, et engagées qui ne paieront pas leur loyer, leur épicerie, leur garderie, à coup de « mercis » et de « c’est beau ce que vous faites! ».

De quoi parle-t-on, quand on parle de bonnes conditions de travail?

Hormis le financement qui occupe une place prépondérante dans cette équation, puisqu’il détermine la capacité ou non d’augmenter les salaires, quels autres éléments entrent en ligne de compte aujourd’hui dans ce que l’on qualifie de bonnes conditions de travail? Comme le mentionnait Audrey Bernard (Relais-femmes) lors de la Journée de réflexion  sur les conditions de travail dans le milieu communautaire, « Face à un monde du travail en transformation, notamment avec l’arrivée du télétravail, les attentes des employé.es ont évolué, mettant l’accent sur le bien-être, l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle et la reconnaissance de leur travail ».[3] Il devient donc plus qu’important de regarder comment nos politiques de conditions de travail répondent à ces attentes. Bien sûr, plusieurs options s’offrent aux groupes, aux gestionnaires et aux conseils d’administration comme la bonification des congés (personnels, de « bien-être » ou familiaux) ou, encore, avec l’instauration de politique de télétravail (équipements, horaire de travail, droit à la déconnexion, etc.). Mais ces bonifications peuvent, selon les secteurs, la grosseur des équipes et le mode de gestion être difficilement applicables. Bien que bénéfiques, dans bien des cas, ces mesures ne sont et ne seront pas suffisantes pour maintenir ou retenir les travailleuses.eurs en place. Car avoir des congés supplémentaires, c’est bien, mais encore faut-il pouvoir les prendre! Coincé entre les besoins grandissants de la population, les exigences des bailleurs de fonds, la culture du dévouement et de la performance et la culpabilité envers les collègues dans une équipe à effectif réduit, il peut être difficile dans ces conditions de « prendre soin de soi ».

Mais alors que faire ?

Nous sommes toutes et tous à même de constater les effets sur le terrain : difficultés de recrutement, roulement important au sein des équipes, départs vers d’autres secteurs d’emploi ou dans le réseau public, épuisement des équipes, tension au sein des groupes, désaffiliation des membres de l’organisme au départ d’un. e intervenant.e avec qui ils et elles avaient créé un lien fort, etc.

Si certains parlent de revoir nos modes de fonctionnement, de gestion et de financement, d’autres sont davantage dans un discours de mobilisation, voire de radicalisation. Chaque milieu est différent et ne répondra pas à cet enjeu de la même façon. Mais une chose demeure, pour que le milieu communautaire puisse encore prétendre transformer le monde, il devra se transformer lui-même.

Si vous avez le goût de réfléchir sur vos conditions de travail, le RIOCM offre une formation gratuite ayant pour titre : Conditions de travail dans le communautaire : les regarder pour les améliorer. N’hésitez pas à nous contacter! pratiques@riocm.org


[1] Pour que travailler dans le communautaire ne plus rime avec misère, Centre de formation populaire et Relais-Femmes, 2005, p. 13.

[2] Mylène Fauvel, Yanick Noiseux et Ophélie Couspeyre, Conditions de travail et d’emploi dans le mouvement communautaire : enquête sur les répercussions des politiques publiques et des pratiques de gestion en temps de pandémie, Groupe interdisciplinaire et interuniversitaire de recherche sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS), 2024.

[3] Audrey Bernard, Relais-Femmes, Résumé de la Journée de réflexion : Agir sur les conditions de travail dans le milieu communautaireAméliorer les conditions de travail : les défis et les obstacles rencontrés par les groupes communautaires et de femmes, Montréal, 2024.