ANALYSE DE LA CONJONTURE – AUTOMNE 2020
Que surveiller ?
En cette rentrée, tous les paliers de gouvernement concoctent leurs plans de relance, surtout économique. La COVID-19 a ralenti de grands pans de l’activité économique et mis en suspens l’avancement de plusieurs dossiers. Si des aides ponctuelles ont permis aux personnes, organismes et entreprises de survivre aux effets du confinement lors de la première vague d’infections, elles seront bientôt épuisées, alors que l’économie reprend timidement et que nous n’échapperons pas à la deuxième vague. Bien que les années d’austérité ont réduit la capacité des secteurs clés, tels que la santé ou l’éducation, à répondre à la crise, le discours priorisant un retour rapide à l’équilibre budgétaire se fait à nouveau entendre. Le manque de personnel et les services réduits affectent maintenant la reprise des activités. Les maigres aides à la subsistance tout comme le salaire minimum, insuffisants déjà avant la crise pour sortir de la pauvreté, ne permettent pas le « retour à la normale » pour de nombreux ménages fragilisés. Sans savoir exactement à quoi s’attendre cet automne, voici quelques éléments à surveiller.
L’aide d’urgence se poursuivra-t-elle pour les secteurs les plus en difficulté ?
Après l’improvisation des premières semaines, puis l’aide ponctuelle et ciblée pour pallier les manques dans certains secteurs dits « essentiels », les apports financiers d’urgence se poursuivront-ils au gré des drames humains et des pressions politiques ? Dans les plans de relance actuellement en élaboration, il sera intéressant de voir si une vision à moyen terme se dégage pour s’attaquer aux problèmes structurels et aux inégalités sociales exacerbées par la crise de la COVID-19.
Le projet de Loi 66 concernant l’accélération de certains projets d’infrastructure
La nouvelle mouture du projet de loi 61, visant la relance de l’économie du Québec et l’atténuation des conséquences de l’état d’urgence déclaré en mars dernier en raison de la pandémie de la COVID-19, est une des pièces maitresses du plan de relance économique du gouvernement de François Legault (par exemple le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal). Il faudra surveiller comment les questions environnementales et les mécanismes pour contrer la collusion se mettront en place. D’ailleurs, plusieurs groupes réclament une relance sous le signe de la transition énergétique et de la justice sociale : de grands idéaux rarement traduits en action par les gouvernements.
Il faudra voir aussi, cette année, quelles répercussions auront le mouvement Black Lives Matter et les mobilisations des peuples autochtones mettant en lumière le racisme systémique dans la police, les services publics, sur le marché du travail et ailleurs. Tout récemment, le gouvernement fédéral a accordé une subvention aux entrepreneurs noirs. Au provincial, la promesse du gouvernement Legault de faire cheminer les dossiers des demandeurs d’asile vers la résidence permanente s’est restreinte au secteur de la santé, oubliant de nombreux autres « travailleurs et travailleuses essentiels ». Nous verrons si des mesures plus structurantes seront mises en place au cours des prochains mois, par exemple pour que les travailleurs demandeurs d’asile puissent avoir accès aux services de garde et de santé auxquels ils ont droit. Étude de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).
Comment la crise transformera-t-elle le système de santé au Québec ?
Dernièrement, le gouvernement Legault a exigé qu’il y ait un gestionnaire responsable dans chaque centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD). Aussi, une action phare a été mise en place pour enrayer la pénurie de personnel dans les CHSLD avec la formation accélérée de 10 000 personnes préposées aux bénéficiaires qui entreront en poste cet automne. Toutefois, de nombreux travailleurs et travailleuses ont déserté les ressources de maintien à domicile pour y participer. Cela laisse sans service des personnes en situation de handicap et en perte d’autonomie. Dans ce contexte, quel est l’avenir du maintien à domicile assurant la dignité de nombreuses personnes ? Ce dossier est à surveiller en plus du projet de maisons des aînés attendu depuis le printemps dernier.
Enfin, de nombreux groupes demandent une commission d’enquête publique ou des états généraux sur le réseau de la santé et des services sociaux (lettre de la Coalition Solidarité Santé) afin que des actions concrètes soient posées pour régler les problèmes flagrants qui ont eu des conséquences funestes. Nous sommes nombreux à demander un retour à la décentralisation du réseau de la santé, actuellement déconnecté des besoins et du sort des usagers. Reste à voir si la demande de Québec de bonifier les transferts fédéraux en santé pour donner une bouffée d’air au financement du réseau sera entendue.
Le télétravail s’installe, les lois du travail seront-elles adaptées ?
Depuis 6 mois, les entreprises et les organismes se sont tournés vers le télétravail pour respecter les règles sanitaires. Si celui-ci représente un défi pour plusieurs travailleurs et travailleuses, notamment les parents, le ministre Boulet annonce préparer un nouveau projet de loi pour adapter les normes du travail aux problématiques liées au télétravail, comme la « santé et sécurité des employés et employées », le surmenage et le « droit à la déconnexion ».
Rentrée éducative en temps de COVID-19
Bien que les écoles primaires et secondaires du Québec sont rouvertes et que le gouvernement Legault assure que les services de garde ne fermeront pas advenant une deuxième vague d’infections, l’ensemble des parents du Québec vivent avec la menace d’un nouveau confinement préventif de leur ménage si un cas positif est confirmé dans la classe (groupe-bulle) de l’un de leurs enfants.
Les élèves ont également dû s’adapter à l’enseignement en ligne. Il faudra surveiller l’impact de la fermeture des écoles au printemps dernier et du virage numérique qui se poursuit, surtout au niveau postsecondaire, sur le décrochage scolaire et la réussite des jeunes, notamment ceux ayant des besoins particuliers.
Fonds spéciaux pour le communautaire
Le foisonnement de fonds débloqués ce printemps pour répondre à l’urgence de la première vague d’infections est maintenant chose du passé. Les fonds privés comme publics pour soutenir les groupes sont maintenant épuisés pour la plupart. Mais d’autres mesures de financement sont en préparation et seront bientôt offertes. Prenons l’exemple du grand Fonds fédéral d’urgence pour l’appui communautaire (FUAC) dont le 2e cycle de demandes vient tout juste de débuter et qui est encore une fois géré par des fondations.
Dans la foulée du scandale sur les liens entre les élus fédéraux et l’organisme philanthropique WE Charity – Mouvement UNIS, nous gardons l’œil ouvert sur la question de la gestion des fonds publics par des organismes privés. Nous sommes également inquiets que des personnalités publiques, fondations et organismes à but non lucratif (OBNL) s’improvisent porte-parole dans certains secteurs et qu’ils soient consultés avant les regroupements officiels et reconnus de revendications collectives d’organismes communautaires.
Cet été, de nouveaux fonds ont été promis aux organismes admissibles au Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) : 17,6 M$ pour les groupes en santé mentale et 70 M$ pour pallier les pertes de revenus d’autofinancement des organismes. Cette dernière mesure prend cependant fin le 30 septembre 2020, ce qui laisse perplexe de nombreux groupes dont la mission est sous-financée. Ceux-ci n’entrevoient en effet pas la possibilité de reprendre leurs activités d’autofinancement cet automne en contexte imminent de seconde vague d’infections.
Les pertes de revenus d’autofinancement des organismes financés à la mission globale par le Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales (SACAIS) seront aussi en partie compensées par un fonds d’urgence de 2 M$, annoncé tout récemment. Les exigences en matière de reddition de compte restent à préciser. Tous espèrent un allégement de celles-ci par rapport à celles des fonds d’urgence PSOC du printemps 2020.
40 M$ d’augmentation du financement récurrent à la mission globale pour les groupes financés par le PSOC
À ces fonds spéciaux s’ajoutent la bonification annoncée en mars dans le budget 2020-2021, qui est une bonne nouvelle pour les groupes. Toutefois, en raison des retards dans les processus administratifs, il est possible que les sommes prévues pour 2020-2021 ne soient versées qu’au printemps 2021. Rien de rassurant pour les organismes vivants de grandes difficultés financières cette année !
À ce défi s’ajoute pour les groupes déjà surchargés de travail l’obligation de tenir les assemblées générales annuelles avant la fin de l’année.
Certains dénoncent les conditions défavorables à la tenue d’une AGA, en présentiel aussi bien que virtuellement. Bien que la démocratie soit une valeur centrale de l’action communautaire autonome (ACA), nous sommes d’avis que l’organisation précipitée des AGA dans le contexte actuel ne renforcera pas le processus démocratique. Au contraire, de nombreux défis se posent, comme la disponibilité de grande salle permettant la distanciation physique et les frais de location plus importants ; une organisation complexifiée et la possible mise à jour des mesures sanitaires interdisant finalement tout rassemblement ; le faible niveau de participation en présentiel en raison des risques de contamination, comme virtuellement en raison de la fracture numérique, du manque d’équipements technologie ou de formation, etc. Il ne faut pas négliger le fait que la difficulté pour les personnes participantes d’échanger entre elles (en personne ou virtuellement) réduit l’AGA à une simple présentation, ce qui est contraire aux processus démocratiques d’une assemblée délibérante. Des représentations sont faites à ce sujet par la Coalition des tables d’organismes communautaires (CTROC) auprès de la nouvelle équipe de fonctionnaires et auprès du ministère de la Santé et des Services sociaux, au lendemain du remaniement ministériel qui a fait de Christian Dubé, anciennement au Conseil du trésor, le nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux et de Lionel Carmant le nouveau ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux.
Et l’aide aux personnes ?
La fin des aides de subsistance aux personnes n’a pas encore sonné. Bien que la prestation canadienne d’urgence (PCU) et la prestation canadienne d’urgence pour les étudiants (PCUE) se terminent, elles sont remplacées par la subvention salariale d’urgence qui sera maintenue jusqu’à l’été 2021. Par ailleurs, encore plus de travailleurs et travailleuses auront accès aux prestations d’assurance-emploi, élargies sous forme d’une prestation canadienne de la relance économique. Les autres personnes devront tenter de retourner au travail si ce n’est pas déjà fait. Au Québec, la bonification de l’aide financière de dernier recours n’est toujours pas prévue, malgré la multiplication des défis auxquels les personnes assistées sociales doivent faire face dans le contexte actuel.
Femmes et emploi
Les mesures de relance économique favorisant les secteurs d’emploi traditionnellement plus masculins, les chômeuses sont toujours plus nombreuses que les chômeurs. Les femmes, continuent d’être plus touchées par la crise, autant professionnellement que personnellement, alors qu’elles sont nombreuses en première ligne, peu rémunérées et qu’elles assument par ailleurs la charge mentale familiale, plus lourde en contexte de COVID-19. Nous pouvons d’ailleurs présumer que ce sont les mères qui resteront à la maison avec les petits au nez qui coule, retirés du jour au lendemain de leur milieu de garde ou de l’école.
Santé mentale et épuisement
L’augmentation marquée du nombre de surdoses, la hausse du nombre d’ordonnances d’antidépresseurs, l’allongement des listes d’attente en santé mentale et l’augmentation des signes de détresse psychologique doivent être pris au sérieux alors qu’un nouveau confinement est annoncé. Le milieu communautaire n’échappe pas à la surcharge de travail et l’épuisement des équipes se fait sentir.
Les ressources temporaires pour les personnes en situation d’itinérance vont-elles être pérennisées ? La Ville de Montréal, en collaboration avec le réseau de la santé et des services sociaux, a réhabilité l’hôpital Royal-Victoria pour en faire un centre de services regroupant les ressources en itinérance prônant l’accès à un toit. Des ressources d’hébergements temporaires ont également vu le jour. Ces deux mesures ne répondent cependant pas aux besoins de tous, en témoignent les camps de fortune érigés sur des terrains vagues montréalais.
Logement social et crise du logement
L’accord depuis longtemps attendu entre les gouvernements du Québec et d’Ottawa débloquera enfin les fonds fédéraux promis depuis 3 ans pour construire de nouveaux logements sociaux. La mairesse de Montréal rappelait que « 150 000 ménages attendent toujours un logement adéquat et abordable ». Parions que la situation de plusieurs ménages s’est détériorée en contexte de pandémie. Il faudra aussi surveiller l’entrée en vigueur, au début 2021, d’une nouvelle réglementation à la Ville de Montréal obligeant les promoteurs à inclure des logements sociaux et familiaux dans leurs projets immobiliers. Aussi, la Ville a pour la première fois fait usage de son droit de préemption pour acquérir un immeuble de Parc-Extension où des logements sociaux seront aménagés. Espérons que la Ville récidivera allégrement pour alléger, ne serait-ce qu’un peu, la crise du logement. Bref, la pandémie a permis de démontrer une évidence : le besoin de réinvestir massivement pour renforcer le filet social affaibli par les nombreuses années d’austérité.
Au cours des prochains mois, nous devrons surveiller les annonces budgétaires : le budget municipal qui sera déposé cet automne, tout comme les mises à jour économique des gouvernements québécois et canadien. Le gouvernement de Justin Trudeau n’a d’ailleurs pas pu déposer son budget annuel en mars dernier à cause de la pandémie. Les budgets 2020-2021, provincial et fédéral, sont attendus pour le printemps 2021.