C’est par un samedi du mois de mai 2022 que Jean Boulet, ancien ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, a choisi de lancer sobrement le pourtant très attendu Plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire (PAGAC)[1]. Cet article présente les faits saillants du nouveau PAGAC[2] à partir de l’analyse qu’en fait le RQ-ACA[3] et évalue les mesures annoncées en fonction des revendications des organismes montréalais.
Rappel historique
Échu au début de 2008, le dernier PAGAC (2004-2008) découlait de la fameuse Politique de reconnaissance de l’action communautaire (PRAC) de 2001 scellant l’engagement du gouvernement du Québec envers l’action communautaire. Comme le PAGAC vise à mettre en place les engagements de la PRAC, il suscitait de grandes attentes, notamment celle concernant le manque à gagner en matière de financement à la mission, qu’on espérait voir combler.
Le nouveau PAGAC (2022-2027) : 4 axes, 29 mesures et un total de 1,1 G$ d’ici 5 ans
Les quatre objectifs généraux de ce plan d’action portent sur :
1. La capacité d’agir des organismes communautaires
2. La mobilisation des partenaires
3. La cohérence des actions des partenaires de l’action communautaire
4. La connaissance et la valorisation de l’action communautaire
Comme nous l’avons dénoncé[4] lors de la présentation du budget provincial 2022-2023, les montants annoncés par le gouvernement de la CAQ font l’addition de sommes récurrentes. Selon le RQ-ACA, ces dernières représentent 80 % (888 M$ du 1,1 milliard $) des investissements du PAGAC dont l’augmentation progressive du financement en soutien à la mission globale. À cela s’ajoutent des sommes ponctuelles pour 21 des 29 mesures.
Quelques mesures incluses dans le PAGAC existent déjà et sont financées dans le cadre d’autres plans d’action gouvernementaux. D’ailleurs, toutes les mesures ne profitent pas à l’action communautaire autonome (ACA). On pense, par exemple, au financement des Carrefours jeunesse emploi (CJE) (mesures 2.1.2 et 3.1.2) que nous avons critiqué dès la sortie du dernier budget, puisqu’ils s’approprient en partie les pratiques développées par les groupes jeunesse qui, eux, restent gravement sous-financés.
Le PAGAC répond-il aux besoins des groupes[5] ?
1) Un réinvestissement historique en soutien à la mission globale
Le PAGAC promet un rehaussement de 117 M$ du financement à la mission globale dès cette année (2022-2023). Il atteindra 216,7 M$ en financement récurrent supplémentaire en 2026-27[6]. Bien que ce soit une excellente nouvelle, ces sommes ne comblent même pas la moitié des 460 M$ revendiqués avant la pandémie par les 4 000 groupes d’ACA. Avec l’explosion des besoins de la population et des coûts de fonctionnement, cette revendication doit même être revue à la hausse. Une autre grande déception demeure l’absence d’indexation malgré l’inflation galopante.
Voici les secteurs qui profiteront d’un rehaussement significatif du financement à la mission :
- Défense collective des droits : 7 M$ sur les 30 M$ demandés
- Famille : augmentation progressive pour atteindre un financement annuel de 185 000 $ par organisme (OCF) en 2026-27, ce qui est en dessous des 200 000 $ recommandés par la Commission Laurent
- Corporations de développement communautaires (CDC)
- PSOC : 40 M$ (2022-2024), auxquels s’ajoutent 18,8 M$ pour la lutte contre les violences sexuelles et conjugales, et 5 M$ pour les ressources d’hébergement communautaires pour les jeunes en difficulté
- Immigration (MIFI)
- Éducation
- Sport et loisirs
- Solidarité internationale
- Affaires municipales et habitation
- Criminalité : un nouveau programme de soutien à la mission aux organismes luttant contre la criminalité
Il y a également de bonnes nouvelles concernant le transfert de certains financements par projet en mission globale, ce qui assure la récurrence des subventions (ministère de la Culture et des Communications, ministère de la Famille et Secrétariat à la condition féminine). On prévoit aussi le financement de nouveaux organismes rattachés au SACAIS, au MIFI et ceux œuvrant pour les populations de langue anglaise. De plus, une concertation interministérielle verra le jour offrir un ministère port d’attache et du financement à la mission aux organismes multisecteurs.
Toutefois, la grande majorité (75 %) des groupes d’ACA, les 3 000 groupes financés au PSOC, n’ont droit qu’à un petit rehaussement alors que leurs besoins s’élèvent à plus de 110 M$ seulement pour Montréal.
Pire encore, des secteurs comme l’environnement sont complètement oubliés dans ce plan alors que la crise climatique s’intensifie et influe directement sur la vie des personnes les plus vulnérables. Les mobilisations autour de la justice climatique à l’approche de la Journée mondiale de la justice sociale en février arrivent d’ailleurs à point[7].
Mesures insuffisantes pour améliorer les conditions de travail
Le sous-financement chronique des organismes communautaires porte atteinte à leur capacité d’améliorer les conditions de travail, notamment les salaires, pour répondre aux défis de recrutement et de rétention. Il est louable de viser « l’augmentation des adhérent.es au Régime de retraite et à l’assurance collective » (1.2.1), mais le financement offert à ces organisations communautaires ne donne pas plus de moyens aux groupes pour y cotiser. Quant au soutien à la gestion des ressources humaines (1.2.2) et à l’accès à la formation continue pour les travailleur.euses (1.2.3), tout ce qui est prévu dans le cadre de ces mesures est la prolongation de l’offre de programmes gouvernementaux existants, par exemple, la Mesure de formation de la main-d’œuvre d’Emploi Québec (MFOR-E). Bref, les mesures proposées ne font pas le poids face à la situation alarmante au sein des équipes de travail[8].
Renforcer l’autonomie
De prime abord, le PAGAC parle largement de l’action communautaire. Mise à part l’augmentation du financement en soutien à la mission globale réservée aux organismes d’action communautaire autonome (ACA), peu de mesures viennent renforcer l’autonomie des groupes.
Le dernier axe (4) du plan est intéressant puisqu’il vise à valoriser l’action communautaire auprès des ministères et organismes gouvernementaux, des municipalités, du milieu philanthropique, etc. (voir aussi la mesure 2.1.4). Toutefois, cet axe regroupe des mesures dont le libellé nous laisse perplexes. L’une d’elles propose de mesurer la contribution du milieu communautaire par son « impact social et économique » (4.1.1). Une autre souhaite faire rayonner les « initiatives d’innovation » (4.2.2) alors que le dynamisme et la révision incessante des interventions pour coller aux besoins identifiés par les membres est le propre des groupes d’ACA. Enfin, on souhaite soutenir la « culture d’évaluation » (4.2.1), ce qui n’est porteur que si elle est développée par et pour les groupes eux-mêmes (ÉvalPop avec les groupes en formation en est un exemple) et non pour répondre aux besoins des bailleurs de fonds[9].
Et le renforcement des mécanismes administratifs ?
Sans minimiser l’importance de promouvoir l’ACA par la Semaine nationale de l’action communautaire autonome (SNACA) (4.1.3), le mouvement continue de faire pression sur le gouvernement pour renforcer l’aspect prescriptif de la Politique de reconnaissance. Le RQ-ACA travaille d’ailleurs sur une loi-cadre au niveau national. La mesure (3.2.4) visant à renforcer le rôle de coordination du ministère responsable, désormais le ministère de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, est un premier pas dans cette direction.
À Montréal, le RIOCM siège aux côtés du RAFSSS et de la CMTQ au comité de suivi de l’application de la Politique montréalaise de l’action communautaire (PMAC), qui n’a pas attendu la sortie du PAGAC pour être adoptée. Toutefois, il reste encore beaucoup de travail à faire pour que la Ville ainsi que les arrondissements respectent la PRAC et le cadre de référence, et qu’ils reconnaissent pleinement l’ACA, ce qui est l’une de nos principales revendications.
Parallèlement, la mise à jour du cadre de référence (3.2.2) et la simplification de la reddition de comptes et des demandes au SACAIS (3.2.3) sont des mesures qui pourraient répondre partiellement au besoin d’actualiser les mécanismes administratifs. Il faut s’attaquer à l’ingérence politique dans les admissions et le financement de nouveaux groupes. En Santé et Services sociaux (SSS), à Montréal tout particulièrement, il faudrait pour cela simplifier l’attribution de fonds en confiant systématiquement au Service régional tous fonds du MSSS dédiés au milieu communautaire. C’est une revendication qui demeure pleine et entière alors que les enveloppes de financements sectoriels surgissent de partout.
2) Favoriser l’accès aux locaux
La crise du logement et la flambée des prix de l’immobilier précarisent les organismes communautaires, qui peinent à trouver des locaux abordables, salubres et adaptés pour recevoir leurs participant.es. Ils sont aussi de plus en plus nombreux à se faire évincer, notamment à Montréal[10]. Une seule mesure (2.2.1) qui s’attaque à ce problème de taille propose de « développer un programme d’accompagnement, d’accès à des locaux et d’amélioration locative ». L’avenir nous dira si ce programme atteindra ses objectifs, mais nous en doutons puisqu’une enveloppe de 9 M$ seulement y est consacrée. Le RQ-ACA rappelle d’ailleurs que cette somme était déjà jugée insuffisante il y a 15 ans dans le cadre d’un programme d’acquisition d’immeubles.
Critique de la place offerte à la philanthropie dans le PAGAC
Nous terminons cette analyse avec les trois mesures les plus inquiétantes sur le plan de la place et du rôle accordés aux acteurs philanthropiques dans le PAGAC. Premièrement, nous surveillons et critiquons la mise en place du Programme DATAide (2.2.2), administré par Centraide du Grand Montréal, qui distribuera des fonds (3,9 M$) ponctionnés à même le Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale (PAGIEPS – FQIS 2017-2023). Pour y accéder, les organismes devront accepter de suivre le cursus de formation planifié avec la firme Nord Ouvert. D’abord annoncé en réponse aux enjeux de fracture numérique soulevés par les groupes communautaires, il s’agit plutôt d’un programme visant à opérer une transformation numérique et à encourager les groupes à gérer une grande quantité de données. Cela ne répond pas aux besoins de la majorité des groupes travaillant avec les populations marginalisées et démunies[11].
Deuxièmement, nous avons appris que la Croix-Rouge administrera également des fonds publics (3.1.1) réservés aux CDC pour la gestion de crise (2023-2025)[12]. Nous nous questionnons sur la nécessité et la légitimité de la Croix-Rouge à administrer des fonds publics.
Finalement, dans la conjoncture actuelle favorable aux partenariats public-privé-philanthropie, nous appréhendons la « mise sur pied d’une Table des partenaires de l’action communautaire » (3.2.1) composée de bailleurs de fonds de tous horizons qui ne doivent d’aucune façon décider du sort du mouvement de l’action communautaire.
[1] Plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire 2022-2027 (PAGAC), SACAIS – Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.
[2] Engagés pour nos collectivités. Tableau des 29 mesures du Plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire 2022-2027 (PAGAC).
[3] PAGAC : Un pas en avant, mais encore du travail à faire, RQ-ACA.
[4] Comment interpréter les rehaussements de financement à la mission des organismes communautaires dans le budget du Québec 2022-2023 ou comment multiplier l’argent pour bien paraître?, RIOCM, mars 2022
[5] Pour un rappel des principales revendications des organismes montréalais, consulter Mémoire du RIOCM dans le cadre des consultations du PAGAC. Décembre 2019. Mémoire du RIOCM sur le PAGAC – RIOCM.
[6] Op. cit. RQACA.
[7] Pour plus d’information sur les mobilisations à venir, consulter le site du MÉPACQ : 20 au 24 février 2023 – Appel à l’action – MEPACQ.
[8] Point de rupture, Observatoire de l’ACA (2022). Sondage 2021 : Point de rupture pour l’ACA ! – L’Observatoire de l’ACA (observatoireaca.org). Lors d’une présentation des résultats du sondage de décembre 2021 à l’AGA du RIOCM en octobre dernier, l’Observatoire de l’ACA notait que si 95 % des organismes disaient rencontrer des difficultés au niveau du sentiment de fatigue ou d’épuisement, ce taux grimpait à 100 % chez les organismes montréalais répondants!
[9] Voir la critique du RIOCM sur les mesures d’impact social dans son analyse des enjeux entourant le PIC (phase 1). Enjeux entourant le Projet impact collectif de Centraide du Grand Montréal – RIOCM.
[10] Centre de services scolaire de Montréal | D’anciennes écoles à vendre pour 28 millions, La Presse.
[11] Dès l’annonce du programme, plusieurs questions ont été soulevées par le RIOCM. 5,4 millions $ pour accélérer le virage numérique des organismes communautaires : Le projet DATAide, piloté par Centraide, soulève plusieurs enjeux – RIOCM.
[12] Op. cit. RQ-ACA, p.10.