L’anti-guide pour survivre aux conversations des Fêtes
En cette fin d’année, le RIOCM vous offre gracieusement cet anti-guide éditorial contenant les sujets controversés à éviter lors des festivités. Il exprime notre profond mal-être face à la montée des discours politiques et médiatiques décomplexés empreints de la rhétorique de la droite sociale.
Les boucs émissaires ou la stigmatisation grandissante de certaines ressources communautaires œuvrant auprès de populations très marginalisées
Nous dénonçons depuis longtemps la responsabilisation des individus pour les difficultés qu’ils vivent au quotidien qui efface les rapports de domination, les discriminations, les exclusions et la violence systémique qui en sont la cause. Mais les récents discours vont encore plus loin pour blâmer les populations, par exemple en insinuant que les nouveaux arrivants seraient responsables des crises sociales (logement et insuffisance des services dans les réseaux publics de la santé et de l’éducation).
« 100 % des problèmes actuels de logement au Québec viennent des immigrants temporaires, pour la plupart des demandeurs du statut de réfugié. […] 50 % des problèmes de prestation de services en éducation […] et le tiers des difficultés dans le réseau de la santé. » Propos rapportés par Michel C. Auger, 12 juin 2024, Immigration | Quand Legault ne dit pas tout, La Presse
Ces crises résultent de choix politiques des différents gouvernements pour réduire la taille de l’État. Il en résulte un sous-financement chronique des réseaux publics, la principale cause de la déficience et de l’insuffisance actuelle des services publics et des programmes sociaux incluant les logements sociaux et réellement abordables.
Les élus se servent des populations défavorisées et discriminées comme boucs émissaires pour expliquer les défaillances du système et notre incapacité, en tant que société, à répondre dignement aux besoins de tous, ce qui constitue une atteinte au plein exercice des droits.
Des organismes montréalais ciblés
Face au désengagement de l’État, le milieu communautaire se mobilise et s’organise avec les sommes faméliques qu’on leur accorde pour qu’il n’y ait personne de laissé pour compte. Ils font, chaque jour, et non pas qu’en période des Fêtes, de petits et grands miracles en désamorçant des situations et en évitant un nombre incalculable de drames et leurs conséquences sur les personnes, les familles et des communautés entières.
Le milieu s’oppose toutefois à toute tentative de déléguer aux organismes la responsabilité du bien-être et de la santé de la population en général. D’abord, parce que ce n’est pas leur mission. Ensuite, parce qu’ils n’ont ni les structures ni les ressources pour combler les besoins non répondus, et de plus en plus nombreux, de l’ensemble de la population.
Montréal, en tant que métropole, concentre des populations vulnérabilisées qui sont les premières touchées par les différentes crises. Les enjeux se multiplient et se complexifient. Plutôt que d’être écoutés pour leur expertise, les groupes communautaires sont de plus en plus la cible d’attaques de la part des élus comme du grand public.
L’année 2024 a été marquée par une tempête médiatique mettant de l’avant les difficultés de « cohabitation » entre, d’un côté, les ressources en itinérance et celles ouvertes aux personnes consommatrices de substances et, de l’autre côté, les populations résidant à proximité de ces ressources. Cette médiatisation polarise l’opinion autour de la question des personnes désirables et indésirables dans les espaces publics.
Bien que le grand public semble encore soutenir la mise en place de ressources venant en aide aux personnes marginalisées, le discours du « pas dans ma cour » s’exprime de plus en plus dans les conseils d’arrondissements ou autres assemblées et forums de consultation, par des plaintes auprès des policiers et auprès de la Ville ou directement formulées auprès des organismes communautaires, dont certains font même face à des poursuites judiciaires.
Cette montée de boucliers des résidant.es de plusieurs quartiers montréalais, amplifiée par les médias locaux et provinciaux, a poussé les élus à adopter des positions qui contredisent la Politique de reconnaissance de l’action communautaire, qui légitime l’apport de ces ressources. Elle vient aussi remettre en question le soutien du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui finance ces groupes à la mission et encourage le développement de nouvelles ressources de proximité.
Une motion mensongère adoptée à l’Assemblée nationale
Plus récemment, une motion mensongère accusant des organismes de promouvoir l’exploitation sexuelle des jeunes[1] a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Les députés de tous les partis on fait le choix conscient de sacrifier un organisme communautaire afin de se faire du capital politique, ou d’être eux-mêmes la cible de l’attention médiatique. Leur tentative d’ingérence dans les orientations et les pratiques des organismes communautaires s’est heurtée à une levée de bouclier du milieu communautaire, qui s’est jusqu’ici montré fructueuse. Mais les dommages sont bien réels : nous avons compris qu’il valait mieux faire profil bas et faire le moins de vague possible afin de poursuivre nos missions sous le radar du public et ainsi éviter les attaques.
Quel avenir pouvons-nous espérer pour l’approche de réduction des méfaits ?
Cette marginalisation et ce jugement des groupes ne sont pas sans rappeler les discours qui reviennent périodiquement en politique québécoise ou canadienne et qui prennent pour exemple les centres d’injections supervisées qui, contrairement à ce que véhiculent certains élus et chroniqueurs de droite, n’encouragent pas la toxicomanie, mais préviennent plutôt les drames qui peuvent s’ensuivre. Les groupes œuvrant en réduction des méfaits auprès des personnes utilisatrices de drogue ont été les lanceurs d’alerte de la crise des opioïdes. Ce sont des ressources qui permettent justement d’éviter un grand nombre de décès et de situations dangereuses non seulement causées par l’usage de substances, mais aussi en raison de la marginalisation et de la criminalisation auxquelles font face les personnes dépendantes et utilisatrices.
Quelles seront les prochaines accusations lancées contre les groupes d’action communautaire autonome (ACA) ? Devons-nous tolérer que les politicien.nes continuent à casser du sucre sur le dos des personnes qui sont les plus susceptibles de subir de l’exclusion, de la marginalisation, de la violence ? Le RIOCM et bien d’autres groupes et alliés s’élèvent contre l’instrumentalisation des groupes dans l’objectif de se faire du capital politique.
De graves conséquences pour les groupes communautaires et les personnes marginalisées qui les fréquentent
Pour conforter l’opinion publique, le discours des élus et des institutions met de plus en plus à mal l’autonomie des groupes communautaires, par exemple en discutant publiquement des possibilités de relocalisation ou de fermeture de certaines activités des organismes. Aujourd’hui, au lendemain de la création de Santé Québec, qui coïncide avec l’annonce de coupures pour répondre aux impératifs de rationalisation des dépenses de l’État québécois (pour ne pas parler du retour à l’austérité), les institutions publiques semblent s’attarder particulièrement aux dépenses des groupes communautaires. Ces groupes sont d’ailleurs eux-mêmes de plus en plus marginalisés.
Les discours politiques électoralistes, qui fluctuent au gré de l’opinion publique, ne devraient pas avoir de répercussions sur les fonctionnaires qui gèrent les programmes de subventions. Pourtant, les représentants du milieu communautaire ont dû développer une hypervigilance dans tous les espaces de représentation avec les bailleurs de fonds pour rappeler les règles qui balisent les programmes de financement. De plus, les organismes communautaires doivent aussi désormais se battre sur le front médiatique pour contrer les attaques à leur réputation auprès des bailleurs de fonds, du grand public et d’éventuels donateurs.
La montée du discours de la droite sociale est-elle en train de mettre en péril certains financements, bien que les programmes comme le PSOC soient bien normés et comportent des mesures de contrôle bien établies ?
Une suggestion de résolution à l’approche du Nouvel An
Notre souhait pour la prochaine année et celles à venir est que l’appui offert aux organismes qui ont choisi de travailler auprès des personnes marginalisées ne soit pas mitigé ou, minimalement, que les institutions prennent la ferme résolution de ne pas nuire à leurs pratiques alternatives.
Notre mouvement vise à soutenir les personnes marginalisées, qui sont des Montréalaises et Montréalais à part entière, pour leur redonner de la dignité et du pouvoir d’agir sur leur vie. La mission des organismes est d’offrir un lieu accueillant pour les personnes exclues, de les accompagner dans leurs démarches pour combler leurs besoins de base et défendre leurs droits. Ils ont aussi pour mission de sensibiliser les élus, les institutions et le grand public aux réalités vécues par celles et ceux qui n’ont souvent pas de voix ni d’entrée auprès des décideurs politiques. C’est en permettant aux personnes marginalisées et à leurs réalités d’exister dans l’espace public et sur la place publique que la société se transforme et devient plus inclusive.
L’ACA la défense collective des droits sont des mouvements progressistes qui visent la transformation sociale par, pour et avec les actions citoyennes des personnes discriminées et appauvries. C’est pour cette raison qu’il y a déjà 23 ans, l’apport du mouvement communautaire a été reconnu dans le cadre de la Politique de reconnaissance et qu’encore aujourd’hui plus de 4 500 groupes d’ACA sont soutenus par un financement à la mission du gouvernement du Québec.
Il faut remettre les pendules à l’heure et rappeler au gouvernement du Québec, aux élues de l’Assemblée nationale et aux fonctionnaires, notamment du réseau de la santé montréalais, que c’est en soutenant toutes les personnes dans une approche de réduction des méfaits qu’elles seront reconnues comme des citoyen.nes à part entière qui doivent être traités avec dignité.
Comme le rappelait la Ligue des droits et libertés (LDL) dans un article soulignant la Journée internationale des droits de la personne le 10 décembre dernier : « […] les valeurs dominantes ou majoritaires, sensibles aux aléas de l’opinion publique, peuvent constituer une menace directe aux droits et contribuer à exclure ou marginaliser certaines minorités. » (LDL, 10 décembre 2024, Journée internationale des droits de l’homme | Des reculs historiques au Québec, La Presse)
Il va de soi que par son parti pris pour la défense des personnes qui n’ont pas de véritable voix dans la société, le milieu communautaire adopte des positions et des façons de faire qui peuvent parfois choquer l’opinion publique. Ce parti pris, toujours minoritaire, souvent à contre-courant, risque de créer de l’inconfort dans le microcosme de vos fêtes de fin d’année. Choisirez-vous d’esquiver ces sujets ou tenterez-vous de sensibiliser vos proches? Dans l’un ou l’autre des cas, donnons-nous rendez-vous l’an prochain pour poursuivre ensemble nos luttes et mobilisations.
[1] Extrait de la motion présentée à l’Assemblée nationale par plusieurs partis politiques et adoptée à l’unanimité : « Que l’Assemblée nationale […] prenne acte que des organismes qui promeuvent des formes d’exploitation sexuelle des mineurs, comme le « sugaring », reçoivent des fonds publics par le biais du Programme de soutien aux organismes communautaires; […] (4 décembre 2024)