La réorganisation du réseau de la santé montréalais : quel impact sur le financement et l’autonomie des groupes?

Plus de 3 ans après la réforme du système de santé par le gouvernement libéral, nous croyons qu’il est approprié de dresser un premier portrait des impacts de cette réforme sur les organismes communautaires montréalais.

 

Avant même l’adoption de la loi, le RIOCM émettait de sérieuses inquiétudes quant à l’autonomie des groupes d’action communautaire, à la possibilité qu’ils soient «  avalés » par une structure qui carbure au nombre de soins donnés plutôt qu’à la prévention dans une approche globale.

 

L’évolution de la structure du réseau

La réforme a amené la disparition de l’Agence régionale, qui chapeautait les nombreux établissements montréalais (dont les CSSS), pour la remplacer par 5 CIUSSS relevant directement de Québec, indépendants les uns des autres, divisant donc la région de Montréal en 5 sous-régions.

Qu’allait-il advenir de la gestion du PSOC et des autres programmes de financement en santé et services sociaux, gérés régionalement par feu l’Agence?

 

Le Service régional des activités communautaires et de l’itinérance a été créé afin d’administrer les crédits régionaux destinés aux organismes communautaires. Celui-ci fait partie intégrante d’un des 5 CIUSSS (celui du Centre-Sud), bien qu’il administre des fonds régionaux. Avant l’adoption du projet de loi 10, le RIOCM demandait à ce que ce service relève directement de Québec, afin de lui donner l’autorité nécessaire à l’exercice de ses responsabilités régionales.

Suivre le chemin de l’argent

La réorganisation n’est pas qu’une lubie de structure. Au-delà des enjeux démocratiques et de l’accès aux soins, dont nous avons abondamment parlé, les trajectoires qu’empruntent les fonds (le chemin que l’argent emprunte avant de se rendre dans les groupes) lui donnent une certaine couleur. Ainsi, plus le chemin parcouru par l’argent est long et complexe, plus on lui greffe des exigences.  Nous craignions alors que l’argent soit teinté. Avions-nous tort? L’expérience nous donne malheureusement raison.

 

Si l’argent existant du PSOC dédié à la mission globale est relativement protégé, pour le moment, qu’en est-il des nouveaux crédits affectés aux groupes communautaires suite à des annonces ministérielles et différents plan d’action (violence conjugale, maintien à domicile, répit en trouble de l’autisme, etc.)?

 

Avant, l’argent pour les groupes communautaires arrivait de Québec dans les mains de l’Agence et pouvait être attribué directement aux groupes et consolidé en mission globale. Désormais, l’argent arrive dans 5 CIUSSS différents, dans un des 8 programmes-services de chacun des 5 établissements (on parle de 40 points de chute potentiels…). L’argent doit ensuite être redirigé vers le Service régional du CIUSSS Centre-Sud, qui, rappelons-le, n’a pas d’autorité administrative directe sur les CIUSSS. Il devient risqué, alors, « d’égarer » les fonds communautaires dans la masse des programmes-services des CIUSSS. Le Service régional doit non seulement exercer une vigilance sur les fonds qui arrivent dans des établissements autonomes, mais également convaincre ces établissements de rapatrier l’argent au Service régional. Et c’est ici que naissent des enjeux cruciaux pour les groupes : les CIUSSS doivent rendre des comptes à Québec sur l’utilisation de cet argent, et y attachent donc une série de conditions en lien avec leurs propres priorités, qui sont souvent en porte à faux avec les principes de l’action communautaire autonome.

 

Ce qui descend remonte inévitablement

La reddition de compte doit « transiger » par le chemin inverse qu’a emprunté l’argent.  En plus de rendre des comptes au Service régional, qui demeure sensible à l’action communautaire autonome, les groupes doivent rendre des comptes à leur CIUSSS (ou parfois à plusieurs CIUSSS). Ceux-ci sont bien entendu préoccupés par les « indicateurs » qu’ils devront fournir à Québec en rapport avec cet argent, indicateurs chiffrés en nombre de « clients » desservis, en réduction de leurs propres listes d’attente ou du nombre de lits qu’ils auront pu vider. Voilà le grand piège ouvert devant nous : l’assujettissement des organismes communautaires au réseau de la santé, assimilés de plus en plus à des fournisseurs de services à sa solde. L’argent de développement, qui pouvait par le passé être consolidé en mission globale par le Service communautaire de l’Agence, se voit désormais attribué en entente de service ou en entente pour activités spécifiques et demeure rattaché aux programmes-services des CIUSSS.

 

Comment les groupes peuvent-ils, d’une part, respecter les 8 critères de l’action communautaire autonome afin de maintenir leur financement à la mission, et d’autre part, agir en sous-traitant du réseau de la santé? Dans un contexte de sous-financement chronique et devant les besoins criants de la population, il est périlleux pour les groupes de passer leur tour par principe. Mais en regard de la révision du PSOC (application plus stricte des 8 critères ACA), réussirons-nous encore longtemps à concilier ces deux missions? Comment trouver l’équilibre pour éviter que la logique de fournisseur de soins de santé ne prennent le dessus sur l’approche globale et la transformation sociale? À quel moment risque-t-on de carrément perdre notre financement à la mission globale?

 

Que pouvons-nous faire?

Nous pouvons, en collaboration avec le Service régional, sensibiliser les différentes équipes de gestionnaires des programmes services des CIUSSS afin de susciter leur adhésion volontaire aux principes d’ACA. Dans ce contexte, notre travail restera une série de vœux pieux ou d’entourloupettes plus ou moins cohérentes afin de préserver un minimum symbolique d’autonomie pour les groupes. Est-ce vraiment ce à quoi nous aspirons? Est-ce le sort de l’action communautaire autonome en santé et services sociaux? Ou pouvons-nous refuser d’être assimilés à des prestataires de service à rabais et revendiquer pour Montréal une instance régionale de gestion communautaire non-assujettie aux 5 CIUSSS?