Pas de pause pour les inégalités sociales en temps de crise

Il est maintenant banal de le répéter; nous ne sommes pas tous égaux devant la crise. Bien que les mesures mises en place pour aplanir la courbe de contagion s’appliquent à l’ensemble des Québécois, les impacts sociaux de la crise sanitaire et économique sont multiples et exacerbent les inégalités sociales. De nombreuses personnes voient leur accès aux besoins de base compromis par cette crise, sans parler de celles et ceux qui n’y avaient déjà pas accès avant.

Il importe d’examiner comment les mesures mises en place pour lutter contre le virus (confinement, arrêt des activités des entreprises, fermetures des écoles et des services de garde ainsi que la diminution de certains services publics) sont devenues des facteurs de stress importants pour de nombreux ménages. Bref, les inégalités sociales ne sont pas mises sur « pause » en cette période de crise, elles sont au contraire aggravées et se révèlent au grand jour.

 

Travailleuses et travailleurs au bas de l’échelle

La crise économique qui suit de près la crise sanitaire n’affectera pas de la même manière tous les Québécois. La conjoncture nous éclaire sur le nombre important de ménages qui sont à un chèque de paie de la faillite personnelle (10%[1]). Tout juste capables de payer leurs créanciers, ces ménages sont dans l’incapacité d’éponger les imprévus en situation régulière. D’ailleurs, cette crise touchera encore plus durement et durablement les plus pauvres et les travailleuses et travailleurs au bas de l’échelle, notamment celles et ceux subissant des discriminations multiples. Pour les ménages qui se retrouvent dans la précarité financière, cette situation anxiogène est couplée par l’incertitude quant à la reprise qui s’amorcera dans une conjoncture économique difficile.

 

Logement

En plus de mettre en péril l’équilibre financier déjà précaire de nombreux ménages, la crise actuelle fait obstacle à la capacité de combler les besoins de base et menace l’exercice des droits d’une partie importante de la population. En période de crise du logement aigüe, la situation est critique pour les familles à la recherche d’un nouveau logis alors qu’il est impossible de visiter des appartements. De plus, il est essentiel de souligner que le confinement ne rime pas avec confort pour tous. Il est même difficile à supporter pour les milliers de famille qui avaient déjà des besoins impérieux en matière de logement avant la crise et qui sont aujourd’hui enfermés dans des appartements trop petits et souvent insalubres.

Rappelons qu’il faut, dans un premier temps, avoir un toit au-dessus de la tête. L’isolement physique, quand on est dans la rue, représente une grande menace pour la sécurité. Par ailleurs, les personnes en situation d’itinérance et marginalisées doivent composer avec le harcèlement des policiers qui semblent demeurer peu sensibles à leur réalité.

 

Accès à l’information

Avec les points de presse des gouvernements dans les médias et la transmission d’informations des autorités sanitaires par les plates-formes Web et les médias sociaux, il faut noter que nous sommes inégaux face à l’accès à l’information. Les personnes avec un faible niveau de littératie, celles qui ne sont pas à l’aise avec le numérique ou les personnes qui ont un accès technologique limité (appareils télévisuels, ordinateurs, accès à internet) se retrouvent coupées des mises à jour quotidiennes en matière des directives sanitaires, d’accessibilité aux services, commerces et autres. C’est un défi auquel se butent également les personnes allophones, dont les occasions de socialiser avec les membres de la communauté ont grandement été réduites.

 

Les femmes : particulièrement sollicitées en temps de crise

  • Travailleuses du « care »

Habituellement invisibles, les travailleuses précaires des services essentiels sont aujourd’hui sous les projecteurs. En plus de mettre en péril leur santé quotidiennement, ce sont elles qui risquent de subir le plus durement les contrecoups économiques et humains.

De nombreux auteurs et autrices reviennent à la charge avec un des fondements de l’analyse féministe : la division genrée du travail, qui entraîne une dévalorisation des métiers et des mauvaises conditions de travail. Soulignons que ce sont toujours majoritairement des travailleuses (80% de femmes[2]) qui oeuvrent dans les secteurs de la santé, des services sociaux, et dans le milieu communautaire. D’ailleurs, la mesure d’aide à la subsistance mise en place par le gouvernement fédéral (2000$ par mois) et la mesure provinciale d’incitatif au maintien en emploi (400$ par mois) ramènent à l’avant-scène le débat du salaire minimum et du revenu minimum de base. Il est également possible de se demander si la Loi sur l’équité salariale de 1996 a pleinement atteint ses objectifs.

 

  • Les femmes confinées à la maison

Cela nous amène à mettre en lumière l’effet du confinement sur les femmes dans l’espace privé. Pensons au télétravail, imposé en raison des mesures de distanciation sociale, qui a pour effet de déranger l’équilibre déjà précaire de la conciliation travail-famille. Les femmes voient leur charge mentale augmenter proportionnellement à la complexification de l’organisation familiale en temps de crise. S’ajoute la pression d’avoir à jouer le rôle d’éducatrice et d’enseignante, et ce, en plus de répondre à leurs obligations professionnelles. Bien que de nombreuses initiatives à distance et numériques aient été mises en place par certains intervenants, cela ne peut se substituer à l’accompagnement des enfants, qui demande temps et compétences. Ainsi, si le niveau d’éducation des mères constitue un des facteurs de réussite scolaire chez les jeunes, nous pouvons croire que cette crise exacerbe les inégalités face à la performance académique. Finalement, l’accompagnement des enfants à besoins particuliers, handicapés ou ayant des enjeux en lien avec la santé mentale est un défi quotidien. Pour les parents confinés à la maison, il est évident que la crise a pour effet d’alourdir considérablement la tâche.

Plus grave encore, le confinement est synonyme d’une détresse immense lorsqu’il s’agit des femmes et enfants victimes de violence et de négligence. Alors qu’aller chercher de l’aide est encore plus difficile et que l’absence d’un réseau social capable de détecter les situations problématiques se fait sentir, l’enfermement et la précarité ne font qu’accroître la violence.

 

Des pistes de solution    

Tout au début de la crise, le premier ministre François Legault souhaitait que personne au Québec ne manque de nourriture. Or, combien de ménages vivaient dans l’insécurité alimentaire avant l’éclosion du coronavirus? Au cœur de la crise, le gouvernement s’indigne de la manière dont les personnes aînées sont traitées dans les CHSLD et les résidences privées au Québec. Or la pénurie de main-d’œuvre et le sous-investissement menant à des soins insuffisants offerts aux personnes aînées ne datent pas d’hier. Comme plusieurs l’ont montré, cette crise fera basculer des milliers de personnes dans la précarité, mais ce sont les structures en place qui ont maintenu ces populations au bord du gouffre. Les investissements octroyés pendant la crise pour éteindre des feux ne doivent en aucun cas servir à justifier de futures coupes budgétaires, notamment dans les programmes sociaux. Au contraire, les secteurs éprouvés par des années de sous-financement et par cette crise devront demain se reconstruire, tout en répondant aux besoins accrus des plus vulnérables. Il faut prévoir qu’une grande partie de la population portera longtemps les stigmates de cette crise sanitaire, économique et révélant une profonde détresse humaine. Alors que les arcs-en-ciel tapissent nos fenêtres et les murs virtuels, il faut s’attendre à ce que la santé financière, physique et surtout psychologique soit fragilisée pour bon nombre d’entre nous. En définitive, des solutions viables peuvent être envisagées pour que nous nous relevions collectivement de cette crise, mais cela devra aller de pair avec un réinvestissement massif dans les services publics et les programmes sociaux. Voici quelques éléments qui figurent déjà parmi nos revendications :

  • Réinvestir dans les services publics et les programmes sociaux;
  • Décentraliser le réseau de la santé, notamment en restaurant le rôle des CLSC
  • Augmenter le salaire minimum et le salaire des professions associées au soin (emploi du « care »)
  • Instaurer une forme de revenu de base ou de revenu minimum garanti
  • Construire massivement des logements sociaux

 

[1] « Selon les dernières estimations, 10 % de la population québécoise ne parvient pas à couvrir ses besoins de base. De plus, près de la moitié de la population canadienne considère être à un chèque de paie de la faillite personnelle
en cas d’imprévu. » Pierre Tircher, Nicolas Zorn. Inégaux face au coronavirus. 2020. Observatoire québécois des Inégalités, p.1

[2] Ibidem, p. 6