Conjoncture postélectorale

La rentrée a été marquée par une campagne électorale provinciale qui a porté au pouvoir pour un second mandat la Coalition Avenir Québec (CAQ), avec une forte majorité.

Cette analyse examine :

1. Les résultats de l’élection provinciale

2. Les faits saillants au Conseil des ministres : les attentes pour Montréal, le milieu communautaire, la Santé et Services sociaux et la justice sociale

1. Les résultats de l’élection provinciale 2022[1]

Devant la carte du Québec presque exclusivement peinte en bleu au lendemain des élections, il est aisé de constater la majorité écrasante obtenue par la CAQ. Le parti de François Legault a réussi à faire élire des député.es dans 90 des 125 circonscriptions.

Le portrait de la députation montréalaise est toutefois bien différent, avec seulement 2 des 27 élu.es représentant le parti au pouvoir.

Notons aussi que 4 des 5 chef.fes de l’opposition officielle se sont fait élire à Montréal, dont Dominique Anglade (qui a démissionné en novembre), du Parti libéral du Québec, qui compte plus d’une vingtaine de député.es au total. Gabriel Nadeau Dubois et Manon Massé, de Québec solidaire (QS), seront accompagnés de 9 autres député.es solidaires. Enfin, Paul Saint-Pierre Plamondon, du Parti Québécois (PQ), n’a fait élire que 3 représentants.

Et s’il y avait eu une réforme du mode de scrutin ?[2]

La composition de l’Assemblée nationale aurait été différente si la réforme du mode de scrutin (projet de loi 19) avait été adoptée. Dans un mode de scrutin proportionnel avec compensation régionale, la CAQ aurait conservé la majorité de la Chambre mais avec moins de sièges. C’est surtout le nombre de sièges gagnés par le Parti libéral du Québec qui aurait été grugé au profit des trois autres partis de l’opposition, presque au coude à coude dans les pourcentages de votes exprimés.

Le nouveau mode de scrutin aurait permis à QS, au PQ ainsi qu’au Parti conservateur du Québec, qui n’a pas réussi à faire élire de candidat, d’avoir un nombre de représentant.es qui concorde plus avec le nombre de votes exprimés au suffrage universel. Il n’est pas étonnant que les deux partis avantagés par le mode de scrutin actuel aient fermé la porte à une réforme prochaine du mode de scrutin au lendemain des élections.

2. Faits saillants au Conseil des ministres

2.1 À quoi s’attendre pour Montréal

Le ministre de la région de Montréal et de la métropole, Pierre Fitzgibbon, est qualifié de « super ministre » puisqu’il cumule aussi les responsabilités de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, en plus d’être responsable du développement économique régional. La proximité au pouvoir est de bon augure pour certains, qui entrevoient enfin l’opportunité de porter à l’oreille du premier ministre les besoins criants des Montréalais.es.

Toutefois, le parti de François Legault a fait la démonstration qu’il n’a pas besoin de Montréal pour prendre le pouvoir. Bien au contraire, il obtient une majorité alors que lui-même et plusieurs ministres ont alimenté la division entre Montréal et le reste du Québec à plusieurs reprises. À propos des nouveaux arrivants, par exemple, le ministre Jean Boulet, anciennement responsable de l’immigration, et François Legault lui-même ont prononcé des propos aussi faux que déplorables.

Finalement, la volonté de faire de Québec une deuxième métropole a été réitérée autant par le premier ministre que par la vice-première ministre Geneviève Guilbault, au lendemain de l’élection. On peut dès lors se questionner à propos des efforts que le gouvernement sera prêt à déployer pour s’attaquer aux défis et aux enjeux sociaux auxquels font face les Montréalais. Le biais économique du ministre Fitzgibbon nous inquiète à cet égard : les annonces ciblant Montréal durant la campagne concernaient principalement des infrastructures de transport ou du réseau hospitalier.

Réseau de la santé à Montréal

  • Rénovation complète de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont
  • Premières unités d’hospitalisation à domicile d’ici la fin de 2023
  • Centre médical privé pour l’est de Montréal, vers 2025

Transport en commun

  • REM de l’Est, ligne bleue du métro, futur bus rapide Pie-IX

Violence armée

  • 250 M$ sur 5 ans pour embaucher des policiers et travailleurs sociaux à Montréal

2.2 À quoi s’attendre pour le milieu communautaire

Le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) sera scindé dans le nouveau cabinet ministériel de François Legault. « L’action communautaire » apparaîtra pour la première fois dans le titre d’un ministère, le ministère de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire. Il sera sous la responsabilité de Chantal Rouleau. Rappelons que Mme Rouleau a toujours refusé de rencontrer le RIOCM alors qu’elle occupait les fonctions de ministre de la Métropole.

Le RQ-ACA suit de près la mise en œuvre du Plan d’action gouvernemental en action communautaire (PAGAC), d’autant plus que plusieurs mesures restent à clarifier. Il contient des investissements historiques en soutien à la mission globale dans quelques secteurs, mais ces derniers demeurent insuffisants pour combler le sous-financement. Aussi, les sommes annoncées pour les 3000 groupes financés en santé et services sociaux soutenus au PSOC sont faméliques : un rehaussement de 40 M$ est prévu jusqu’en 2026, dont les 37 M$ distribués en 2022-2023 et 3 M$ pour l’an prochain, alors que les besoins en financement à la mission à Montréal seulement s’élèvent à 110 M$.

Des financements sectoriels visant la réalisation de plans d’action ministériels sont également à prévoir. Voici des exemples tirés du dernier budget et des annonces électorales :

Santé mentale 

  • Partenariat avec les organismes communautaires pour former des pairs aidants

Soins à domicile 

  • Appuyer les proches aidant.es et les organismes communautaires
  • Réinvestir dans les centres de jour

Violences faites aux femmes 

  • 223 M$ sur cinq ans du Plan de lutte contre la violence conjugale et les féminicides (places en hébergement, services externes d’intervention spécialisée pour les femmes victimes de violence)

Nous surveillons et critiquons l’appel aux fondations philanthropiques pour gérer des fonds publics dédiés au milieu communautaire. Dans le PAGAC, notamment, des mesures portant sur le programme DATAide ont été confiées à Centraide du Grand Montréal. Ce dernier propose un parcours de formation en transition numérique. Des fonds ponctuels sont également confiés à la Croix-Rouge pour financer les corporations de développement communautaire (CDC) en gestion de crise dans les communautés.

2.3 À quoi s’attendre en Santé et Services sociaux

Pour mettre en œuvre son projet de refondation du Réseau de la santé, le gouvernement de la CAQ mise sur son trio santé. Sans surprise, Christian Dubé reste ministre de la Santé et maître d’œuvre du « Plan Dubé »[3]. Il reste à confirmer les mandats de Lionel Carmant, qui passe de ministre délégué à responsable des Services sociaux, et de Sonia Bélanger, nouvelle ministre déléguée à la Santé et aux Aînés. Elle possède une bonne connaissance du réseau de la santé en sa qualité d’ancienne PDG de CIUSSS. Les dossiers de premier plan à surveiller sont la proche aidance et l’hébergement, qui touchent les personnes aînées et les personnes vivant avec des déficiences physiques, intellectuelles ainsi que des troubles du spectre de l’autisme.

Grandes inquiétudes face à la réforme du réseau de la santé

Au printemps dernier, le ministre Dubé a annoncé une réforme-refonte du Réseau de la santé se déclinant en une multitude de « changements nécessaires », dont la plupart restent à préciser. Il semble toutefois que les changements administratifs soient déjà bien entamés à l’interne, ce qui transforme les façons de faire. Bien que de nombreuses mesures répondent à un diagnostic qui fait consensus – par exemple, le manque de personnel soignant – les solutions proposées n’ont pas fait l’objet d’un débat public. Avec le statut majoritaire obtenu aux dernières élections, nous nous inquiétons que le gouvernement Legault s’accorde la légitimité d’aller de l’avant avec les avenues privilégiées et sous-entendues par le Plan Dubé. Nous critiquons particulièrement l’accélération du recours au privé et la sous-traitance au milieu communautaire. Sous couvert d’une plus grande efficacité, la réforme annoncée pourrait participer à l’affaiblissement du réseau de la santé et continuer à mettre en péril l’accès universel et gratuit aux soins de santé et de services sociaux pour l’ensemble de la population, partout sur le territoire.

La place et le rôle du milieu communautaire dans le Plan santé

Dans le Plan Dubé, les groupes communautaires sont comptabilisés comme des installations du réseau de la santé. Dans le schéma de La première ligne du futur, ils sont disposés aux côtés des CLSC. Pourtant, les organismes communautaires sont autonomes et offrent des activités et services alternatifs au réseau public de santé et de services sociaux. Leur mission et leurs approches préventives et globales dépassent largement la prestation de « soins et services » à laquelle nous cantonne le Plan Dubé. Ainsi, il apparaît de plus en plus clairement que pour la CAQ, innover en santé, c’est sous-traiter au privé et au communautaire. En plus de nous alerter sur l’indépendance des organismes communautaires, qui n’ont pas les moyens de répondre aux besoins de l’ensemble de la population, nous revendiquons prioritairement un réinvestissement massif dans les services publics.

Quelques mesures à surveiller dans la mise en œuvre du Plan Dubé :

La plateforme « Votre santé » se voulant un guichet unique, cette porte d’entrée doit assurer, au-delà du référencement, un meilleur accès aux soins. Cette plateforme doit donc être jumelée à une stratégie pour favoriser des soins de santé et de service sociaux universels, accessibles et gratuits qui répondent à la demande. Les organismes communautaires, qui offrent des services alternatifs, ne peuvent pas pallier le manque de services de l’État. D’autant plus que leur sous-financement chronique actuel ne leur permet pas de couvrir leurs frais de fonctionnement. Il s’agit donc d’un euphémisme que de dire qu’ils ne possèdent pas les ressources pour répondre aux besoins de la population.

En promettant de faire de plus en plus appel au privé pour réduire les listes d’attente et investir dans des centres médicaux privés pour répondre aux demandes croissantes, le gouvernement Legault nous indique que le renforcement du système public et universel de soins de santé n’est pas sa priorité. Alors que les mesures d’urgence étaient évoquées pour expliquer le recours au privé pendant la crise de la COVID-19, il est maintenant question de mesures transitoires indispensables en attendant la refonte du réseau de la santé, qui prendra du temps. L’argument en faveur du privé pour régler les problèmes immédiats nous inquiète ; cela risque d’empirer la situation puisque le privé vampirise les ressources du public autant en termes de coût que de déplacement de la main-d’œuvre.

Il faut aussi rester critique face à l’argumentaire de la gratuité des services couverts par la RAMQ, qu’ils soient offerts par le privé ou le public. Sous couvert de gratuité pour les patients se cache une explosion des coûts pour la collectivité dont les impôts servent de plus en plus à enrichir les compagnies privées plutôt que d’être investis dans le réseau public de santé. Nous joignons nos voix à la Coalition solidarité santé pour réclamer un réel débat public sur la privatisation galopante, sous peine de donner un chèque en blanc au gouvernement Legault qui, avec l’obtention d’un mandat majoritaire la population du Québec, nous dit : Continuons le démantèlement de notre réseau public de soins !

À l’automne, le ministre Dubé a annoncé sa volonté de créer l’Agence santé Québec, qui serait responsable des opérations, alors que le MSSS serait chargé des orientations. Plusieurs questions demeurent : est-ce que cela contribuera à la décentralisation du système de santé annoncée par le gouvernement de la CAQ ? Il faudra surveiller les transformations en matière de gouvernance pour le dire. Si toutefois le passé est garant de l’avenir, nous devons admettre que le gouvernement de François Legault a agi de manière plutôt centralisatrice au cours du dernier mandat. Il a, par exemple, retiré au service régional à Montréal sa marge de manœuvre dans le cadre de plusieurs enveloppes de financement du milieu communautaire en permettant au MSSS d’imposer des critères, des montants déterminés et des listes d’organismes ciblés et exclus.

2.4 À quoi s’attendre pour la justice sociale

Nous l’avions dénoncé lors de la sortie du budget provincial en mars dernier : peu de mesures ciblent les populations les plus vulnérables et permettent encore moins de s’attaquer aux causes de la détérioration des conditions de vie et des droits au logement, à l’alimentation, à la santé, etc.

Quelques mesures annoncées :

Aide ponctuelle

  • Chèque avant les fêtes : 600 $ (avant 50 000 $) et 400 $ (50 000 $-100 000 $)  
  • Aînés de 70 ans et plus à revenu modeste : jusqu’à 2 000 $ (plutôt que 411 $) par personne

Impôts

  • Baisse de 1 % pour les 2 premiers paliers d’imposition
  • Bonification du crédit d’impôt pour frais de soutien à domicile et services d’aide domestique
  • Tarifs gouvernementaux (Hydro, garderie, permis, etc.) : maximum de 3 %

Logement

  • 11 700 logements surtout abordables
  • 7 200 suppléments au loyer

Parmi les mesures annoncées, la plus populaire demeure certainement le versement d’un montant unique, comme l’an dernier, pour éponger la hausse du coût de la vie à l’approche des fêtes. Cette mesure rate sa cible, d’abord parce qu’elle s’adresse à la majorité, ce qui ne permet pas d’aider significativement et à long terme les personnes qui en ont le plus besoin. Il en est de même pour les baisses d’impôts annoncées qui, en plus d’être limitées, ne rejoignent pas les personnes à plus faibles revenus qui ne payent pas d’impôt. Un autre chèque vise spécifiquement les aînés à revenu modeste, mais seulement ceux âgés de plus de 70 ans, alors que l’ensemble des aînés sont frappés de plein fouet par l’inflation.

De plus, les mesures annoncées sont temporaires et ne s’attaquent pas à la cause des inégalités. Au contraire, plusieurs qualifient ces chèques d’inflationnistes. Nous pouvons faire le même parallèle avec la crise du logement, puisque le gouvernement Legault choisit d’investir dans le logement abordable, inaccessible aux ménages à faible revenu, et d’ajouter des suppléments au loyer pour aider les familles à payer leur loyer sur le marché privé, ce qui contribue à la flambée des prix. Bref, les mesures annoncées par le gouvernement Legault ne permettent pas de venir en aide aux populations les plus fragilisées, vulnérabilisées, discriminées, marginalisées. Il n’est pas étonnant que les demandes d’aide explosent dans les organismes communautaires montréalais et, du même coup, le sentiment d’impuissance des intervenant.es devant le manque de services publics.


[1] Résultats des élections générales, Élections Québec

[2] Et si la CAQ avait réformé le mode de scrutin? Radio-Canada

[3] Plus humain, plus performant : Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé, MSSS