Des inégalités en voie de perdurer

Comme cette crise a touché plus durement les quartiers défavorisés et les populations les plus vulnérables se trouvant à l’intersection de plusieurs axes de discrimination, les impacts à moyen et long terme de la pandémie se feront sentir au-delà de la levée de l’état d’urgence sanitaire.

 

Itinérance et logement : le droit à un toit

En début de crise, les gouvernements, notamment la Ville de Montréal, se sont rapidement mobilisés pour répondre à l’urgence et mettre en place des centres de jour temporaires pour accueillir les personnes en situation d’itinérance, pour qui le confinement ne rimait à rien sinon à un alourdissement de leur quotidien. Aujourd’hui, plusieurs contestent le démantèlement des camps de fortune par la police, sans parler des amendes salées distribuées aux personnes en situation d’itinérance ou victime de profilage social. Bien que des fonds d’urgence aient été dédiés au soutien en itinérance et en hébergement, des inquiétudes planent sur la possibilité de répondre à l’ensemble des besoins au cours des prochains mois si les mesures de distanciation physique sont toujours en vigueur.

D’ailleurs, plusieurs ménages pourraient se retrouver à la rue en cette période de déménagement, grandement complexifiée par la crise sanitaire venue aggraver la crise du logement. Réclamé avant insistance depuis des mois, le plan en matière de logement du gouvernement Legault a été présenté tardivement. Il permettra à un peu moins de 2 milliers de ménages, dont des personnes en situation d’itinérance, d’accéder à un toit grâce à un supplément au loyer. Des prêts sans intérêt sont aussi disponibles aux locataires et un report des taxes est possible pour les propriétaires. Plusieurs groupes craignent pourtant toujours une vague d’évictions au cours des prochains mois, en raison de la situation économique des ménages qui restera précaire. Aussi, ces mesures ne règlent en rien la crise du logement préexistante à la COVID-19.

 

Personnes âgées, handicapées et vulnérables : la question des soins à domicile et en résidence

Devant les horreurs constatées dans les CHSLD et résidences privées pour personnes âgées, notamment causés par le manque de personnel, mais également par une gestion déficiente des établissements, le gouvernement Legault a d’abord octroyé des bonus à certains travailleur.euses. Il a aussi fait appel au grand public ainsi qu’à l’armée pour obtenir du renfort. Enfin, il a annoncé la mise sur pied d’une formation accélérée pour dénicher les 10 000 préposées aux bénéficiaires manquantes dans les établissements publics, leur promettant un emploi à temps plein au salaire alléchant en plus des avantages sociaux offerts. Cette mesure a dès à présent un effet dévastateur sur les soins à domicile pour les personnes : âgées, en situation de handicap et vulnérables. De nombreuses personnes ont déjà déserté les entreprises d’économie sociale et ressources intermédiaires, laissant des milliers de personnes sans services « essentiels » à domicile. Les organismes pressent le gouvernement d’agir en considérant l’offre de soins dans son ensemble sous peine de voir ces personnes quitter leur domicile et conséquemment engorger les CHSLD déjà incapables de suffire à la demande.

Enfin, l’isolement accru pourrait perdurer pour les personnes âgées et certaines populations plus à risque, notamment en situation de handicap, qui sont les plus gravement touchées par le coronavirus. Celles-ci pourraient souffrir longtemps du prolongement des mesures de distanciation physique qui peuvent occasionner d’autres problèmes de santé physique et mentale.

 

Santé mentale et conséquences néfastes du confinement

Le confinement, qui a certainement sauvé de nombreuses vies, a aussi malheureusement plongé plusieurs personnes dans une détresse psychologique qui pourrait avoir de lourdes conséquences à plus long terme. Les problèmes de santé mentale préexistants ont pu être exacerbés et de nouvelles problématiques ont pu émerger en raison du stress causé pas l’isolement, la complexification de l’accès aux besoins de base ou la difficile conciliation entre famille et soins aux proches – (télé)travail – (télé)études.

 

Femmes vulnérables et minorisées

Les femmes ont particulièrement été touchées par cette crise. La pression et la charge mentale sont toujours présentes en ces temps d’incertitudes. Plus nombreuses à perdre leur emploi, les femmes feront davantage les frais du prolongement de la fermeture des écoles, camps de jours et des services de garde. C’est aussi à elle qu’un retour attendu à l’austérité fera le plus mal.

Le confinement dans un domicile toxique augmente la vulnérabilité de nombreuses femmes et enfants. Alors que la violence conjugale et l’hébergement étaient une des cibles priorisées par les fonds d’urgence, le financement suffira-t-il à accueillir et soutenir à long terme les ménages écorchés par la crise et le confinement prolongé?

La crise sanitaire a également permis de mettre en lumière un autre type de violence, économique celle-ci, liée à la division ethnique/raciale et sexuelle du travail de soins. La majorité des « anges gardiens » chargés d’un travail sous-valorisé, peu rémunérés et pourtant aussi exigent qu’essentiel, sont des femmes racisées et immigrantes, parfois en attente de statut. Alors que le gouvernement Legault a dit souhaiter reconnaître le travail de celles et ceux qui ont aidé à lutter contre la COVID-19 en faisant cheminer leurs demandes d’immigration, plusieurs déplorent que la nouvelle formation accélérée pour devenir préposée aux bénéficiaires dans le secteur public exclue les demandeurs d’asile.

 

Enfants, réussite éducative et fracture numérique

Une vigilance accrue a été demandée aux intervenants, notamment scolaires, afin de s’assurer que les enfants les plus vulnérables reçoivent le soutien favorisant leur réussite éducative. Or, ce soutien se révèle variable d’un établissement ou d’un professeur à l’autre. Aussi, le maintien de la fermeture des écoles primaires dans le grand Montréal entraine des disparités et accroît les inégalités face à la réussite éducative en raison de la fracture numérique et d’une indisponibilité de plusieurs parents à accompagner leurs enfants dans leurs apprentissages à distance. À la suite de cette crise, de nombreux décrochages sont à prévoir, selon les experts.

La fracture numérique est également un frein à la participation économique, sociale et citoyenne à l’ère de la distanciation physique favorisant les activités sur le Web. Le faible niveau de littératie et l’accès technologique limité entrainent, à court et possiblement à plus long terme, une exclusion encore plus grande de certaines populations.

 

Pauvreté et crise économique

Comme nous l’avons vu poindre, la crise sanitaire est suivie de près par une crise économique alors que de nombreuses entreprises ont déjà fait d’importantes mises à pied. Les aides de subsistance, comme la prestation canadienne d’urgence (PCU) qui a été élargie et allongée, permettent à un certain nombre de ménages de garder la tête hors de l’eau. Mais pour combien de temps encore? Cette mesure étant imposable, plusieurs craignent un report ou un prolongement des difficultés financières des ménages. D’autres citoyens semblent avoir été oubliés alors qu’ils réclamaient depuis longtemps une bonification de leur aide de subsistance. C’est le cas des personnes assistées sociales qui ont été encore plus fragilisées par cette crise et le seront encore au cours des prochains mois avec, par exemple, l’augmentation du prix du panier d’épicerie et autres « taxes COVID » imposées par les commerçants.

En définitive, les organismes communautaires ont vu les besoins des populations augmenter au fil des semaines, faisant gonfler leur nombre de participant.es. Tout porte à croire que cette pression perdurera. Au-delà des fonds d’urgence et de transition, la reconnaissance et les remerciements publics d’une maille importante du filet social québécois s’accompagneront-ils enfin d’un financement adéquat à la mission? Nos espoirs reposent sur notamment sur le futur plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire (PAGAQ) en élaboration.