Quels stigmates laissera la crise sur le milieu communautaire?

Alors que la crise de la COVID-19 a fait apparaître toute l’importance du milieu communautaire, la période d’incertitude que nous traversons amène son lot d’inquiétudes pour l’action communautaire autonome (ACA), notamment en regard des actions collectives. Voici quelques-unes de nos préoccupations actuelles.

 

Accès aux locaux et espace physique

Bien que le milieu communautaire ait obtenu depuis peu l’autorisation officielle de rouvrir ses portes, plusieurs attendent toujours l’autorisation des institutions, par exemple la Ville de Montréal, pour accéder à leurs locaux. De même, de nombreux organismes sont toujours dans l’incertitude quant à la reprise de leurs activités dans les écoles, bien que la rentrée scolaire en présentiel ait été confirmée pour l’automne prochain.

En vue de la réouverture, les groupes participent également à la course pour se procurer le matériel de protection nécessaire. Les règles de distanciation physique toujours en vigueur, mais soumises à des modifications perpétuelles, allant de l’assouplissement au durcissement advenant une 2e vague de la COVID-19, impliquent de prévoir de multiples scénarios d’utilisation de l’espace disponible. Bref, l’incertitude plane quant à la capacité financière, logistique et humaine des groupes à réaliser leur programmation régulière; notamment les activités et interventions collectives. (Guide sur le déconfinement, produit par la Coalition des tables régionales des organismes communautaires – CTROC)

 

Vie collective et fracture numérique

En matière de processus administratifs et démocratiques, d’une part, les groupes ont obtenu la levée de l’obligation de tenir une assemblée générale annuelle (AGA) qui pourra être reportée jusqu’à 4 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. De nombreux groupes se questionnent néanmoins sur le maintien de leur vie démocratique et la viabilité de tenir une assemblée virtuelle, bien conscients de la fracture numérique qui exclue certains de leurs membres. (Guide sur les obligations relatives à la vie démocratique des organismes communautaires autonomes, produit par le ROC03 Capitale-Nationale) La question demeure : comment maintenir la proximité avec les participant.es alors que le virtuel a ses limites et est inaccessible pour plusieurs?

 

Ressources humaines manquantes et surcharge

D’autre part, la nouvelle reddition de compte liée au fonds d’urgence PSOC, ayant été complexifiée en cours de route, est toujours dénoncée par les groupes. Nombreux sont les organismes qui n’ont ni les ressources humaines ni le temps nécessaire pour remplir cette paperasse; d’autant plus qu’ils sont en pleine gestion de l’augmentation des besoins de leurs membres, synchronisée avec une réorganisation obligée de leurs activités en vue de la réouverture. La surcharge des directions et coordinations d’organismes est palpable ; elles ne pourront tenir ce rythme effréné encore longtemps, et malheureusement l’horizon de la sortie de crise n’est toujours pas perceptible. Cette pression sur les organismes s’ajoute au sous-financement chronique et à la pénurie de main-d’œuvre qui pourrait s’amplifier. Plusieurs s’attendent à devoir rebâtir leurs équipes de travail dont les membres pourraient être essoufflés, en détresse psychologique et même malades, advenant une deuxième vague à l’automne. Cela est sans compter les travailleur.euses qui souhaiteront peut-être se réorienter ou changer d’employeur. Enfin, comment trouver le temps et l’énergie pour dénoncer les politiques publiques quand le financement pourrait se tarir et la force de travail ne plus être au rendez-vous dans la prochaine année?

 

2020-2021 : une année difficile financièrement

Avec l’arrivée des discours sur la relance, notamment économique, les annonces quasi quotidiennes de nouveaux fonds d’urgence commencent à se tarir. Elles laissent place à des plans et fonds de transition pour la prochaine année « avec la COVID ».

De prime abord, les financements prévus sont en péril ; autant le rehaussement du financement à la mission que le financement des projets, difficiles à réaliser en respectant la distanciation physique. Cela sans parler de l’autofinancement et des collectes de fonds sur lesquels les organismes ne pourront certainement pas compter cette année. Rien n’est assuré en matière de financement et cela menace la survie de certains groupes qui pourraient se retrouver à sec à l’aube de la prochaine année. Un deuxième fonds d’urgence PSOC semble être en préparation pour combler ces manques en matière de financement hors mission, mais l’annonce n’a toujours pas été faite.

Deuxièmement, plusieurs fonds d’urgence ont accusé un retard et les groupes n’y ont eu accès que récemment. Cela a eu pour effet de les transformer en fonds de transition pour répondre aux besoins émergents et soutenir la restructuration des activités des organismes jusqu’à l’automne ou le printemps prochain. Nous pouvons penser au Fonds d’urgence du gouvernement fédéral pour l’appui communautaire (FUAC), dont le processus de demandes a été connu plus d’un mois après l’annonce. Le gouvernement fédéral a compliqué encore davantage le processus de demande en confiant ce fonds à trois gestionnaires (privés) différents. (Fiche synthèse pour le Fonds d’urgence pour l’appui communautaire (FUAC), produit par le RIOCM)

Des inquiétudes pointent du côté de la multiplication des acteurs privés dans la gestion des fonds publics. Force est de reconnaître l’agilité des fondations qui ont distribué rapidement des sommes de première nécessité. Toutefois, le risque est grand d’exclure ou de défavoriser certains groupes ou, au contraire, de favoriser les OBNL d’entrepreneurs sociaux qui se font valoir auprès des fondations. Les risques de voir des groupes non reconnus s’improviser « fournisseurs de services communautaires essentiels » existent. De plus, les comités de sélection des projets ne sont pas constitués d’acteurs publics. Certaines fondations ajoutent des critères à la reddition de compte selon leurs propres orientations et approches. En apparence, elles semblent faire peu de différence entre les fonds privés et publics qu’elles gèrent. Les regroupements sectoriels montréalais ont d’ailleurs dénoncé ces mécanismes de répartition, s’inquiétant de l’imputabilité des gouvernements (Lettre adressée aux ministres fédéraux de Montréal pour dénoncer la trajectoire des fonds publics canadiens par les organisations privées, rédigée par les regroupements sectoriels de Montréal et le RIOCM). Bref, cette crise accélère une tendance inquiétante : l’influence montante des acteurs privés auprès des pouvoirs publics. Donnons en exemple la Ville de Montréal, qui vient de mettre sur pied un Comité aviseur sur la solidarité sociale pour une relance inclusive, sur lequel trois grandes fondations privées (Centraide du Grand Montréal, Fondation du Grand Montréal, McConnell) ont été invitées, alors que notre demande d’y voir siéger au moins un regroupement de l’ACA a été refusée.

Certains profitent même de la crise pour promouvoir la logique de gestion entrepreneuriale et utilitaire du secteur communautaire (Il est temps de dépoussiérer le financement des organismes communautaires, La Presse, 22 juin 2020). Une tendance au monopole communautaire se dessine, alors que quelques grands joueurs souhaitent concentrer les financements publics en leur sein, centraliser et uniformiser les pratiques et privilégier la dispensation de services efficients. Or, cette logique est aux antipodes de l’ACA qui, insistant sur les causes systémiques des inégalités sociales, privilégie l’action globale dans une visée de transformation sociale. Nous devons le rappeler : le financement à la mission des organismes communautaires n’est pas offert par l’État « faute de pouvoir compter sur un réseau philanthropique », mais bien en raison d’un choix de société, celui d’impliquer les gens de la communauté dans la résolution des problèmes sociaux. » (Réaction du Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA), du RIOCM et du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), 24 juin 2020)

Cette crise écorche donc les valeurs propres à l’ACA. L’autonomie des certains groupes a pu être affectée par le financement d’urgence. Pointons, par exemple, la décision du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de réserver une partie du fonds d’urgence généraliste (2,5 M$ des 20 M$) accordé aux organismes PSOC en vue de prioriser des services de répit et d’hébergement. Cela met une forte pression sur les groupes en déficience intellectuelle et troubles du sceptre de l’autisme (DI-TSA) pour rouvrir précipitamment leurs portes, spécifiquement pour ce volet, alors que leur intervention est beaucoup plus globale. Il faut craindre que cette crise précipite encore plus les groupes communautaires dans la sous-traitance par rapport à l’État.

En résumé, des inquiétudes planent sur le financement de l’ACA pour les prochaines années. Les cibles de financement prioritaires pour répondre aux « services essentiels » pourraient demeurer dans l’après-crise en supplantant le rehaussement du financement à la mission de base. Or, rappelons que c’est principalement les organismes financés adéquatement à la mission qui avaient la plus grande marge de manœuvre pour adapter leurs services en temps de crise. Pareillement, ce sont les États avec un filet social en santé qui ont le mieux surmonté cette crise. L’augmentation du financement à la mission est donc une nécessité et demeure la priorité; tout comme l’est le réinvestissement dans les services publics et programmes sociaux. Il faudra continuer à le marteler puisqu’un retour à l’austérité pourrait être envisagé…

Nous appuyons donc les demandes des regroupements qui ont récemment pris parole publiquement, comme la Coalition des Tables régionales d’organismes communautaires (CTROC) (Conférence de presse CTROC, 10 juin 2020), pour demander au gouvernement de maintenir et de bonifier ses engagements en :

  • bonifiant les sommes prévues pour le communautaire dans le budget déposé le 10 mars 2020 (Analyse du budget provincial 2020-2021, par le RIOCM)
  • simplifiant les processus administratifs.

 

Le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) renchérit sur le financement en ajoutant que la reconnaissance publique ne suffit plus, qu’il est temps « d’accroître la concertation avec le communautaire en vue d’élaborer un plan de relance permettant d’amenuiser les inégalités sociales ».